En parlant de la Mauritanie, et plus
précisément de Nouakchott, Catherine BELVAUDE évoquait « la capitale des
sables où le bétail croise en plein centre-ville les mini-bus déglingués et les
Mercedes rutilantes ». Parmi les nombreuses facettes de la pauvreté, il en
est une qui, en tant que bon citadin, vous frappe immédiatement et à de quoi
vous amuser. Il s'agit de l'état du parc automobile, marqueur très significatif
et très précis de la situation économique d'un pays. Lorsque j'ai eu la chance
de découvrir Dakar, j'avais déjà relevé le pittoresque des véhicules et de la
voirie. Mais lorsque j'ai abordé la frontière mauritanienne, j'ai vite pu
évaluer le retard de développement du pays par rapport à son voisin touristique
du Sud. Nous voilà tout près de Rosso, la porte d'entrée du pays située sur le
fleuve Sénégal. En attendant le bac qui assure la traversée du fleuve quatre
fois par jour, on aperçoit de la berge deux vulgaires bâtiments décrépis.
Devant l'attente et la chaleur, la pirogue sera notre premier moyen de
transport en Mauritanie. Le fait peut paraître anodin, mais les exemples sont
nombreux, et derrière ces indices éparses nous avons pris le parti de décrire
et de comprendre les mécanismes qui lient le phénomène spatial de transport, à
celui du sous-développement. Quelle-est la situation de développement de la
Mauritanie ? Comment s'inscrivent les transports dans l'espace, et quelles en
sont les différentes formes dans le pays ? Faut-il envisager les transports
comme un signe du sous-développement et par conséquent un handicap, ou comme un
moyen de développement ? La portée de ces questions est ambitieuse, mais nous
avons voulu, à partir d’informations diverses, donner un élément de réponse à
propos de ce sujet, qui, malheureusement pour les recherches, est quasi-inédit.
Nous avons d’abord consacré une bonne part de l’exposé à décrire la situation
naturelle, humaine et économique du pays, nécessaire à la bonne compréhension
des processus étudiés. Le deuxième volet est une explication des systèmes de
transport de Mauritanie, alors que la troisième partie est une mise en
perspective des politiques de transport et de développement qui s’intéresse
surtout aux acteurs de cet aménagement du désert.
L’inévitable crevaison…
I
Sable, tribus, et train du fer : un état des lieux
La Mauritanie est un pays désertique.
C’est pourquoi les contraintes du climat, les problèmes de maîtrise des
distances et de la topographie, ainsi que la questions des ressources en eau et
en nourriture ont toujours été cruciales.
Le climat mauritanien est marqué par
l'aridité. Il est désertique sur la quasi-totalité du territoire, l'influence
océanique permet cependant à la frange occidentale d'enregistrer des précipitations
plus importantes et une amplitude thermique moins marquée. La vallée du
Sénégal, qui marque la frontière méridionale, jouie d'un climat plus arrosé
pendant deux ou trois mois en été, appelé hivernage. Il s'agit d'un climat
sahélien qui permet quelques cultures traditionnelles sous pluies de mil et de
sorgho, auxquelles s'ajoutent aujourd'hui des cultures irriguées grâce aux
barrages sur le fleuve. Si les précipitations sont rares elles sont aussi très
irrégulières dans le temps et dans l'espace et les averses sont souvent
particulièrement violentes, ce qui représente une contrainte supplémentaire
pour les infrastructures déjà mises à mal par l'amplitude thermique et les vent
de sable, manifestations du grand courant d’air qui souffle sur tout le pays,
l'Harmattan.
Relief de la
Mauritanie
La Mauritanie n'est pas un pays
montagneux, ainsi le relief n’offre que peu d’obstacle aux hommes mais ne joue
pas non plus de rôle tempérant sur le climat. Les paysages sont constitués
d’une succession d’étendues caillouteuses (regs) et de champs de dunes (ergs )
avec toutefois un vaste talus constitué par la chaîne de l’Adrar à l’Est. La
densité et la variété de la végétation va croissante dés que l’on va vers le
Sud et l’Ouest. Le relief est donc plutôt adapté aux routes, pistes d’aviation
et voies de chemins de fer. C’est la nature du sol qui peut poser problème,
soit dans les zones de grands ergs, où une route peut disparaître sous le
sable, soit dans le bassin du fleuve où les pistes argileuses deviennent totalement
impraticables en cas de pluie. Pour voyager sur une piste on préfèrera toujours
s’adresser à un maure, ancien nomade, de peur de se perdre sur un tracé
disparu.
Un passage
difficile après une averse importante sur un sol argileux.
Un paysage typique
dans le Trarza
« La liberté s’arrête où le
goudron commence », voilà les mots d’un pasteur nomade du nord du pays. La
route est un nouvel élément du paysage, qui est fixe et qui représente donc une
barrière, symbole du pouvoir de la capitale. Il y a 50 ans, 80 % de la
population était encore nomade, se déplaçant avec les chèvres et les chameaux
(nom donné aux dromadaires dans le pays) au grès des averses. Pendant les
trente-cinq dernières années la situation a très rapidement évolué. La population
a plus que doublé, passant de 929 000 habitants en 1965 à 2.5 millions en 2000.
On a choisi une capitale a cet ancien territoire français délimité à la règle
et au compas. Les sécheresses successives et l’attraction des grandes villes
ont donné à la Mauritanie le taux d’urbanisation le plus élevé d’Afrique de
l’Ouest, passant de 2 % en 1950 à 56 % d’urbains de nos jours. Le poids des
villes, et surtout de Nouakchott, gigantesque village de 800 000 habitants, est
par conséquent considérable. Leur population est originale. Elle incarne la
société mauritanienne dans un espace restreint. En effet, on y retrouve des
hommes et des femmes aux origines et à la situation très diverse.
Il s’agit pour environ 30 % des Mauritaniens
de populations noires de langues et de traditions diverses, originaires de la
région du fleuve (c’est ainsi qu’est désigné le Sénégal dans le pays). Les plus
nombreux sont les Toucouleurs. Ils sont traditionnellement cultivateurs et
éleveurs de bovins. Leur groupe, longtemps dominé au niveau national, est très
revendicatif sur le plan politique. Parents des Peuls, dont ils parlent la
langue, ils se définissent comme les Halpoularens, c’est à dire « Ceux qui
parlent le Poular ». Les autres groupes, comme les Toucouleurs, forment
des communautés présentes dans les états voisins du Sénégal et du Mali. Il
s’agit des Ouolofs, des Soninkés et des Bambaras. Ils profitent de l’activisme
politique des Toucouleurs, formant ainsi un bloc d’opposition basé sur la
couleur de peau, facteur proclamé de discrimination. Cependant, si la
discrimination basé sur la couleur de la peau existe, il s’agit surtout d’une
arme politique redoutable face au groupe majoritaire, hétéroclite et
multicolore, les Maures.
Ce groupe a un seul nom mais cache des
situations diverses, simplement réunies par une langue maternelle commune, le
Hassanyia, arabe dialectal local. Les maures sont présents dans toutes les
régions du pays, couvrant la superficie de cet état grand comme deux fois la
France. La majorité des maures fait partie du groupe des Harratins, ou maures
noirs. Il s’agit d’une « caste » d’affranchis, descendants proches ou
lointains d’esclaves noirs des tribus de maures blancs. Bien que représentant
près de 40 % de la population, il sont encore aujourd’hui exclus. Anciens
cultivateurs des oasis, ou anciens petits éleveurs, ils sont les plus nombreux
dans les quartiers d’habitats spontanés, ou kébés, étant les plus pauvres et
ayant été touchés le plus durement par la sécheresse. La plupart des maures
blancs ne sont pas beaucoup plus riches, mais ils font partie du groupe qui
domine politiquement et économiquement le pays. Ils sont les descendants des
tribus de marabouts et de guerriers qui ont presque toujours détenu le pouvoir.
Certains représentants des castes dominantes, notamment les marabouts, vivent
aujourd’hui dans le luxe. Ils ont réussi dans le commerce international, la
politique ou l’industrie. Autant dire
que les contrastes sociaux sont particulièrement forts dans ce pays. Quelle
sensation étrange lorsqu’on rentre dans un bidonville sur une carriole tirée
par un âne et qu’on en ressort en 4*4 climatisé flambant neuf ! Entre le
quartier Tefragh Zeïna des ambassades et des grandes villas, où l’on entretient
pelouses, palmiers et piscines derrières de grands murs, et le 5E
district tout proche où s’entassent la moitié de la ville dans des baraques en
taule et des tentes, il y a un gouffre suffisant pour illustrer le
sous-développement du pays.
Une villa de
Tefragh Zeïna…
…et de l’autre
côté du mur.
Le premier visage de l’économie du pays
est incarné par les statistiques internationales. Leur analyse permet de
dégager des tendances mais elles ne nous renseignent pas vraiment sur les
revenus de la plupart des Mauritaniens. Il y a peu, le pays vivait uniquement
de ses ressources agricoles et du commerce. L’Etat français colonisateur
exploitait à l’origine la gomme arabique, qui avec le sel et le bétail
permettait aux pays de s’approvisionner en céréales. La sécheresse et la
croissance démographique du pays ont rendu la question alimentaire déterminante
de nos jours. L’autosuffisance dans ce domaine est impossible pour le moment.
En matière de céréales, le pays produit environ la moitié de ce dont il a
besoin, et cela malgré la mise en place de périmètres de cultures irriguées sur
le fleuve. Le recours aux importations est inévitable, et entre 1992 et 1997,
années durant lesquelles les pluies avaient été plutôt bonnes, l’aide
alimentaire représentait de 7 à 20 % des importations. Pour de nombreux
Mauritaniens aujourd’hui, et surtout pour les ruraux, le mot
« développement » dont la traduction est difficile en arabe (on
l’assimile à la formule « aller de l’avant »), signifie d’abord avoir
en abondance ce qu’il faut pour bien se nourrir et pour vivre agréablement. Les
jeunes étudiants et les dirigeants comprennent le terme comme un synonyme de
croissance économique. Les politiques de développement menée par l’Etat en sont
le reflet. Au sortir de l’indépendance, il a été fait le pari de développer le
pays à partir des ressources minières prometteuses du Nord du pays. On pensait
que les revenus de l’exploitation des mines de fer auraient un effet
d’entraînement sur l’économie, on promettait à tous la richesse. Après les
années de crise dues, une fois de plus, à la sécheresse, cette richesse que le
fer devait apporter était simplement, dans l’esprit des paysans, une saison des
pluies généreuses. Car le pari du fer a échoué devant la fluctuation des cours,
la guerre du Sahara, et la faiblesse des investissements. Le gouvernement
avait, qui plus est, largement privilégié une industrie qui ne profitait qu’à
peu de Mauritaniens, par rapport à une agriculture qui faisait vivre tous les
autres. Pis, la dette extérieure du pays est devenue colossale depuis le début
des années quatre-vingt, engloutissant chaque année plus du tiers des revenus
d’exportation.
Le train du fer
sur la ligne Zouérate-Nouadibou
La Mauritanie appartient aujourd’hui au
groupe des Pays Pauvres Très Endettés, et la récente annonce de l’annulation de
sa dette, qui représente près de deux fois le Produit Intérieur Brut annuel du pays, a été sans nul doute bien
accueillie. Le gouvernement pratique depuis plus de quinze ans une politique de
rigueur budgétaire, marquée par la privatisation de nombreuses entreprises et
la baisse des dépenses de l’Etat, encore flanqué d’une administration
pléthorique, dans la plus pure tradition africaine. Le fer demeure aujourd’hui
une des principales ressources du pays. La première source de revenus est la
pêche. Au plus dur de la crise, l’Etat a misé sur la richesse exceptionnelle
des eaux Mauritaniennes, qui n’étaient exploitées que par des entreprises
étrangères. Avec la procédure des ZEE on tente aujourd’hui de réglementer la
pêche, et il s’est formé, en aval d’une pêche artisanale importante, une
industrie de transformation et de conserveries de poisson destiné à
l’exportation. Des accords pour autoriser certains pays étranger à pêcher dans
les eaux mauritaniennes fournissent à l’Etat un complément de revenu très
important.
Groupe de
pêcheurs de retour sur la plage près de Nouakchott
Cependant, l’analyse de la répartition
de la population active par secteurs d’activité nous informe sur la réalité
économique du pays. Loin du fer et des usines à poisson, les Mauritaniens
vivent d’abord de l’agriculture (71.1 % des actifs) et pour une part importante
des services (20 % d’actifs dans le secteur tertiaire). Il faut donc considérer
que le PIB / habitant est plus proche des 193 $ (valeur estimée pour les
agriculteurs), que des 420 $ obtenus après une division. On pourra ici noter
que les transports fournissent 10 % du PIB en occupant seulement 1.3 % des
actifs, il s’agit donc nettement du secteur le plus productif. Derrière ces chiffres
se cache cependant une économie informelle très développée qui vient réduire
les écarts.
Activité |
Pourcentage d’actifs |
Part dans le PIB (en %) |
Agriculture / Elevage |
71.1 |
28.4 |
Industrie/ Mines/ Extraction |
4.4 |
17.1 |
Administration et autres services |
4.4 |
18.3 |
Banque / Assurance |
6.1 |
5.3 |
Transports |
1.3 |
10.0 |
Commerce / Tourisme |
8.2 |
13.2 |
Bâtiment et Travaux Publics |
2.6 |
6.8 |
Electricité / Eau / Gaz |
1.9 |
0.9 |
Source : Atlas du monde Arabe**
Ces chiffres, basés sur les moyennes des années de la décennie 80, sont
certainement contestables étant donné le peu d’études réalisées et la
définition des catégories. Il permettent quand même de dégager quelques
tendances.
II L’espace des transports en
Mauritanie
Zone intermédiaire entre le monde arabe
et l’Afrique noire, le territoire mauritanien a toujours été un espace de
transport, qui plus habité par des nomades. Cependant, il ne reste aujourd’hui que
trois ou quatre petites oasis caravanières qui disparaissent sous les sables
pour témoigner de l’existence d’une ancienne grande route commerciale. Si
d’ailleurs l’Est du pays avait la fonction de route, il n’en avait pas la
forme. Point de grande voie dans le désert, seulement une vaste zone sur
laquelle les maures « naviguaient » au rythme de leurs montures. Les
points de repères que constituent les axes de communication introduits
récemment sont étrangers à l’espace vécu des populations. La fonction commerciale
est par contre une tradition très ancienne, encore visible par la présence de
petits boutiquiers maures dans toute les grandes villes d’Afrique
subsaharienne. Lorsque les français
commencent à s’intéresser à cette immense zone, vers 1860, il s’agit d’abord de
pacifier la région du fleuve en écartant les tribus de pillards venues du Nord.
Ils accélèrent la disparition de la route orientale en détournant une partie du
commerce de la gomme arabique à leur profit vers Saint-Louis du Sénégal. La conquête
en bonne et due forme de ce territoire sans richesse sera achevée vers 1920,
dans le seul but de relier l’Algérie et la Maroc au Sénégal. Il n’y aura
pratiquement pas de colonisation effective en Mauritanie. Les héritages de
cette période sont principalement les villes du Sud, anciens comptoirs ou
ancien fortins, et des frontières très conventionnelles. Le choix de
l’emplacement de la capitale est tout de même à attribuer aux français, qui ont
substitué Nouakchott, minuscule fortin en pays maure, à Saint-Louis, située en
pays ouolof et du mauvais côté du fleuve. Le tissus urbain est donc un héritage
partiel de la colonisation. Les axes de communication, s’ils découlent souvent
des villes, sont beaucoup plus récents.
2.Les transports dans la vie quotidienne
L’apparition récente de différents axes
et moyens de communication soulève parfois des interrogations chez
l’observateur. Outre l’habituel cliché du train du désert, dont l’utilité est
toute de suite expliquée par l’exploitation du minerai de fer de la Kédia
d’Idjil, on se demande parfois pourquoi il a été décidé de construire une
grande route goudronnée sur plus de 1000 km au milieu du désert. Avant
d’étudier, les politiques de transport de l’Etat, d’ailleurs fort avare en
statistiques, il est intéressant d’essayer de comprendre l’utilité, le
fonctionnement, et les manifestations du phénomène de transport pour la
population. Il s’agit, nous l’avons vu, de tous ceux qui vivent en ville ou
dans les villages. Ils ne travaillent pas dans l’industrie et ont un revenu
moyen de 200 $ par an. On connaît mal l’origine des revenus des ménages en
Mauritanie, le nombre de salarié est faible. L’intégration à la vie économique
semble réduite, d’autant plus que les lieux d’habitation sont eux-aussi peu
intégrés à leur environnement, semblant exister à partir de rien, loin des
activités du centre-ville.
Quartier
périphérique de Nouakchott
En fait ces hommes et ces femmes ne
sont pas tout à fait des urbains. Leur arrivée en ville ou dans un village
remonte souvent à une vingtaine d’années. Dans les quartiers les plus récents,
souvent les plus dégradés, on peut observer une situation similaire à celle des
premiers migrants. L’arrivée en ville intervient en général d’abord pour les
hommes assez jeunes, venus chercher du travail. Le reste de la famille est
encore en brousse (c’est comme cela
qu’on appelle l’espace rural en Mauritanie). Pour celui qui est parti en ville,
le lien avec la famille reste très fort. Il lui rend visite régulièrement,
quitte à retourner vivre en brousse si la situation est trop difficile en
ville. Le fait que les urbains retournent fréquemment en brousse, et que les
membres de la famille puissent eux-aussi lui rendre visite, notamment comme
première étape d’une future installation en ville, implique l’existence d’un
trafic de personnes entre la capitale et les régions périphériques.
Celui-ci est grandement facilité par
l’existence d’une route sur laquelle pourra alors se mettre en place un réseau
de transport automobile régional. Le système est organisé autour d’une gare
routière située en général au début de la zone péri-urbaine, à l’entrée du
centre-ville, à l’arrivée de la route principale. Les chauffeurs sont tous des
maures, ils s’organisent suivant un système
de tour de rôle contrôlé par un « chef du garage » afin de permettre
à tous de travailler. Le prix est à peu près fixé, variant en fonction du
véhicule utilisé. Le mode de transport le plus économique est le minibus, dont
le nombre de passager important oblige à faire des arrêts fréquents. Les
véhicules 4*4 sont beaucoup plus rapides. Il mettent en général quatre fois
moins de temps pour arriver à destination, principalement à cause de leur état
bien meilleur. Le nombre de passager demeure important (une quinzaine), et le
voyage doit se faire à l’extérieur, ces véhicules étant du type pick-up. Dans
les deux cas précédents le chauffeur n’est pas propriétaire du véhicule, il
partage les bénéfices avec ce dernier. La situation est différente pour les 504
familiales, qui sont le modèle standard des gares routières. Le chauffeur
transporte dans son véhicule 9 personnes. Il se charge de remplir son véhicule.
La voiture part lorsqu’elle est pleine, c’est à dire lorsque toutes les places
sont payées. Le prix du voyage est élevé. Cependant les coûts de maintenance
(il n’existe pas d’importateurs de pièces détachées automobiles dans le pays)
et le prix du carburant, surtout pour des véhicules anciens à forte
consommation, rendent la marge très réduite. En contrepartie, le système du
tour de rôle garantie une relative régularité des revenus.
Une gare routière
à Saint-Louis-du-Sénégal
Les transports à l’intérieur de la
ville répondent à des règles différentes. La variété des moyens de déplacement
est calquée sur les disparités de revenus, et sur les organisations très
diverses des quartiers. En périphérie, l’espace habité est très semblable à un
campement. A côté des baraques on plante la Khaïma, tente traditionnelle des
maures. On amène ses chèvres, on ajoute parfois un arbre. Il n’existe pas de
titre de propriété, ni de limites matérielles à la parcelle habitée. Le
processus d’intégration à la vie urbaine est lent. Les habitants des villes
sont toujours un peu des nomades et d’ailleurs, nombreux sont les
fonctionnaires de la capitale qui possèdent leur groupe de chameaux, en
brousse. Cela explique que les paysans soient plus nombreux que les urbains,
pourtant majoritaires : les deux catégories s’entrecoupent. Mis à part au
centre-ville, l’espace n’a pas d’organisation définie. La périphérie est une
interminable succession de cabanes plantées sur du sable, formant un réseau
chaotique, qui se faufile entre les habitations. Ca et là, on trouve des petits
marchés qui sont les centres de gravité
des quartiers. Pour les besoins quotidiens, le citadin doit se déplacer.
Souvent le chef de famille est le seul à être salarié. C’est lui qui sera amené
à se déplacer quotidiennement le plus loin. Mais la plupart des autres membres
de la famille travaillent aussi, en général de manière informelle, irrégulière
et à temps partiel. L’offre des transports est adaptée à cette demande aux
exigences et aux revenus différents. Le moyen le plus économique demeure la
marche. On peut ensuite emprunter une calèche tirée par un âne et dirigée par
un enfant. Cette activité, complètement informelle, peut fournir un complément
de revenu intéressant pour les familles, elle n’occasionne pas de frais
importants. Lorsque le quartier présente un semblant de tracé de rues il est
possible d’y circuler en voiture. Il n’est pas question cependant de voitures
individuelles. Le nombre d’immatriculations annuelles dans le pays donne le
ton : on estime le parc automobile à 16 000 véhicules, soit dans la
capitale quelque chose comme une voiture pour 60 personnes. Pour les transports
en commun il s’agit souvent de véhicules utilitaires aménagés en minibus. Leur
état est catastrophique ( pour l’anecdote, j’ai pu observer en fonctionnement
un petit car qui, d’après la déformation de la carrosserie, avait du effectuer
un tonneau…). Pour des déplacements irréguliers et plus lointains, les taxis
sont mieux adaptés. On trouve toute sorte de voitures qui assurent cette
fonction, de manière officielle ou clandestine. Le conducteur est généralement
le propriétaire du véhicule. Le prix de la course est adapté à la demande.
Certains remplissent le taxi au maximum pour diminuer le prix de la course,
d’autres appliquent un tarif en fonction de la distance ou tout simplement un
tarif fixe. De toute façon il n’y a pas vraiment de règles en la matière. Il
n’existe pas de transports en commun publiques.
Transport d’eau
et boutiques dans le centre de Nouakchott
Mais les transports ne se limitent pas,
pour les habitants, au déplacement des personnes. On est surpris de la
diversité des produits commercialisés en ville. S’il y a un confort dans la vie
urbaine il se manifeste d’abord à travers une offre en produits alimentaires et
artisanaux assez large. Leur origine géographique est parfois lointaine. C’est
une manifestation du développement pour les Mauritaniens de pouvoir boire à la
longueur de journée le traditionnel thé à la menthe, naturellement importé. On
s’en procure en centre-ville à tous les coins de rue dans les minuscules
boutiques des commerçants maures. Le riz et le mil, à la base de
l’alimentation, arrivent en ville par la route depuis les champs du Sud, ou le
port de l’amitié de Nouakchott. Le trafic des pondéreux n’est pourtant pas très
spectaculaire, il est assez rare de croiser sur une route un camion. En effet,
les productions locales trouvent des acheteurs dans un rayon limité. Mis à part
les grands périmètres de riziculture irrigués de la région de Rosso, une grande
partie des produits alimentaires viennent de la périphérie de la ville. Des
petits jardins potagers sont souvent entretenus par les femmes ( là où il y a
de l’eau )qui revendent une partie de la production sur les marchés. La viande
consommée est celle du bétail de la région, moutons, chèvres et poulets
viennent directement de la ville. Reste une foule de produits plus rares, à
commencer par l’eau. Dans beaucoup de kebbés il n’y a pas de réseau
d’alimentation en eau, on s’approvisionne comme on peut, et la vente d’eau est
un business florissant. Des jeunes vont chercher l’eau à la fontaine ou au
puits le plus proche et font ensuite la tournée du quartier avec une charrette
qui transporte d’anciens bidons d’huile de 100L remplis d’eau. Les tissus sont
un autre luxe des citadins. Il peuvent venir de coopératives locales, mais
aussi du Sénégal ou du Mali, voir de toute l’Afrique de l’Ouest. Il arrivent en
ville par la route, car le voyage est toujours l’occasion de faire du commerce.
On ne prend jamais la route sans apporter quelques marchandises. On partira en
brousse avec un de beaux boubous pour la famille et on en repartira avec des
dattes, parfois une chèvre. Les Toucouleurs et Ouolofs ont très souvent des
parents au Sénégal, ce qui génère un trafic de devises et donc probablement de
marchandises. Une étude plus poussée révélerait certainement l’existence d’un
commerce organisé, comme il en existe entre le Sénégal et le Mali.
Marché aux tissus
de Nouakchott
3. Un
réseau de transport atrophié mais diversifié
Réseau de route
et de voies ferrées du pays
Le seul axe de communication naturel du
pays, le fleuve, n’en est pas un. S’il est navigable pendant la période de
hautes eaux, c’est uniquement sur une partie restreinte de son cours , du fait
des nombreuses passes qu’il présente. De plus ce cours d’eau est une zone de
frontière avec le Sénégal, et les relations entre les deux pays sont souvent tendues
depuis les événements de 1989. Il n’y donc pas de navigation le long du fleuve
mais seulement des bacs qui le traversent à Rosso et Kaédi.
La navigation est pourtant utilisée
pour acheminer les marchandises à l’importation et à l’exportation depuis les
deux ports du pays, Nouadibou et Nouakchott. Les warfs de Point-Central
(Nouadibou) et du port de l’amitié (Nouakchott) ont été financés par la
République Populaire de Chine, important partenaire commercial du pays. Il
permettent l’exportation du minerai de fer et du poisson et l’importation de
tout ce qui manque au pays (céréales de l’aide alimentaire, produits
manufacturés, hydrocarbures…).
Une partie des marchandises arrive en
Mauritanie par avion. Vide et plat, le pays se prête très bien à la construction
de pistes d’aviation, mais le trafic aérien est limité, du fait de la faible
demande. Le marché local n’offre pas beaucoup de débouchés, aussi bien en terme
de marchandises que de voyageurs. En effet, rares sont les Mauritaniens qui ont
les moyens de s’offrir un billet d’avion, et le tourisme n’existe quasiment
pas. Les aéroports de Nouadibou et Nouakchott peuvent accueillir des appareils
de grande taille. Les compagnies étrangères qui desservent le pays sont Air
Afrique, Air France, Royal Air Maroc et Iberia. Vingt pays étrangers sont
desservis, Paris et Dakar sont les destinations les plus fréquentes. La
compagnie nationale Air Mauritanie possède deux Fokker F-28 de 80 places,
destinés aux liaisons internes vers la quinzaine d’aérodromes du pays, ainsi
qu’aux vols vers Dakar et Las Palmas de Majorque. Elle a fait l’acquisition
l’année dernière (1999) d’un Airbus A300 pour répondre à la demande croissante
du pèlerinage de La Mecque. Cette évolution est encourageante pour ce pays qui
a des potentialités naturelles évidentes pour le tourisme.
Pour acheminer le fer depuis son lieu
d’extraction vers son lieu de transformation et d’exportation, l’Etat
mauritanien à financé la construction d’une ligne de chemin de fer à voie
unique de 670 kilomètres de long. Six convois de 220 wagons y circulent chaque
jour depuis l’ouverture de la ligne en 1963. Le train traverse une zone
quasiment inhabitée et peu attractive, et ne transporte que du minerai. Il fait
tout même vivre un certain nombre d’ouvriers le long de la voie, dans les bases
d’entretien. Le matériel est parfaitement entretenu, il ne s’agit pas
d’interrompre le commerce du fer, seule
béquille pour l’économie du pays en temps de crise. A Choum, un des deux arrêts
de la ligne, un commerce s’est organisé autour du train. Cette bourgade est en
fait située à l’intersection de la voie ferrée et de la piste qui relie la
capitale à Zouérate, la ville de la mine. Depuis une dizaine d’années la
Société Nationale Industrielle et Minière, première entreprise du pays, détenue
à 80 % par l’Etat, et qui gère toute la filière minière depuis la mine jusqu’au
port, mène une politique de diversification de ses activités. Le train
accueille maintenant deux wagons destinés au transport des voyageurs,
essentiellement des locaux qui profitent de la liaison, moins hasardeuse pour
se rendre de Nouakchott à Nouadibou que la piste côtière pourtant directe…
Nous l’avons montré plus haut, pour la
majorité des hommes du pays, le mot transport est associé à l’idée de route. La
route est le vecteur des richesse à l’intérieur du pays. Le réseau est marqué
par son faible développement. Il comportait 1835 km de routes goudronnées en
1996, soit une proportion de 0.2 km pour 100 km² (contre 147 en France) et 0.7
km pour 1000 habitants (France = 14.5). Le réseau routier découle du réseau de
villes du pays et surtout des modes de vie des populations. Dans la région du
fleuve, où vivent des populations de sédentaires, le réseau de pistes est plus
dense que dans le reste du pays où les densités humaines sont moindres et où on
vivait jadis dans des campements nomades. Les immensités désertiques qui
couvrent une grande partie de l’espace et qui sont aujourd’hui vides n’ont reçu
aucunes infrastructures, laissant certaines zones de peuplement telles que
l’Adrar, isolées du reste du pays. Seules les routes, en terre ou en bitume,
sont susceptibles de recevoir un trafic automobile autre qu’occasionnel. Dès
que l’on s’en éloigne, les temps de voyage augmentent considérablement. La
composante Est-Ouest des axes principaux a été privilégiée, leur conférant plus
un rôle de circulation intérieure que de relais vers l’extérieur. L’ancienne
fonction de trait d’union entre le Maghreb et l’Afrique Noire n’existe plus.
Jadis les migrations saisonnières des pasteurs sillonnaient le pays depuis les
dunes du Nord, pendant l’hivernage, vers le fleuve, au milieu de la saison
sèche. Il ne demeure aujourd’hui que peu de courants Nord-Sud. La réalité des
transports a changé avec la croissance urbaine. Les villes du Sud ont explosé,
et pour faire parvenir le « développement » depuis la capitale il a
fallu les y relier. Cette entreprise, jugée de première importance par le
gouvernement, a débuté en 1970. Il y a aujourd'hui trois véritables routes en
Mauritanie. La route Nouakchott-Rosso, qui relie la capitale au Sénégal, la
route Nouakchott-Akjoujt, qui relie la capitale aux gisements de cuivre et part
vers le Nord, en direction de l'Adrar et des mines de fer, et enfin l'axe le
plus récent et au tracé le plus long, la route Nouakchott-Néma qui parcoure le
pays d'Ouest en Est sur 1100 km. Il est nécessaire de souligner les manques de
ce réseau. Ce qui pose le plus de problème, c'est l'inexistence d'une route
entre Nouakchott et Nouadibou, les deux principales villes du pays.
Actuellement, la piste doit être empruntée en véhicule tout-terrain, et il faut
plus d'une journée pour parcourir les 525 km de sable, sans compter les
inévitables crevaisons et ensablements. Une autre lacune est manifeste: la
faible connexion du réseau national aux pays voisins limitrophes. Le seul lieu
susceptible d'accueillir un trafic routier vers l'étranger est le bac de Rosso.
Les frontières avec la République Sahraouie et l'Algérie sont toujours
dangereuses (champs de mines, forte présence de l'armée…) en raison du statut
indécis de la zone du Sahara Occidental. Le Mali reste bien loin de la
capitale…Le système de transport reflète les héritages et les besoins du pays.
Mais de plus, nous allons l'expliquer plus loin, il est à la fois emblématique
d'une situation de sous-développement, et représentatif de la volonté des
différents acteurs politiques locaux et internationaux d'apporter au pays
stabilité et développement économique.
III Des transports dans le désert : des
fins, des moyens et des enjeux .
Les "développeurs" pensent
souvent en terme de manques et d'obstacles à un hypothétique nivellement par le
haut des pays du globe. Il est saugrenu d'imaginer la Mauritanie de demain
comme la France d'aujourd'hui. Nous avons du mal à concevoir réellement les
besoins de ces pays. Il convient donc de relativiser et de se méfier des
apparences de la pauvreté, pour rechercher un véritable développement.
N'oublions pas que ces gens vivent quand même !! Bien qu'il n'y ai souvent ni
l'électricité, ni l'eau courante, ni le téléphone, les Mauritaniens ne le
ressentent pas tous nécessairement comme un manque. Leurs préoccupations sont
ailleurs, il ne s'agit pas de passer à côté lorsqu'on envisage une aide au
développement. Il y a souvent un décalage entre les objectifs de l’Etat, les
aspirations de la population et les projets des investisseurs étrangers. Le
développement c’est la solution qui mettra tout le monde d’accord.
1.Les tentatives d’un jeune état
Le fait que notre étude soit centrée
sur le territoire de la Mauritanie ne doit pas faire oublier qu’il s’agit d’une
entité politique récente. En quarante ans d’existence, les différents
gouvernements qui s’y sont succédé ont toujours poursuivi les mêmes buts, tout
en étant souvent confrontés aux mêmes problèmes quasi-structurels de son
territoire. La société mauritanienne est encore marquée par d’importants
clivages sociaux et « ethniques ». Pour les hommes d’Etat, l’unité a
généralement été un but affiché, bien que poursuivi de manières diverses dans
les faits. En effet, le pays a longtemps du légitimer son existence face à ses
voisins et notamment face au Maroc qui a un temps revendiqué cette zone. Le
résultat est, pour cet état démuni, une longue série d’alliances
internationales diverses et contradictoires qui ont compromis le deuxième
objectif de l’Etat, le développement. La priorité économique donnée au fer et
au cuivre a d’abord demandé la construction d’infrastructures pour acheminer le
minerai. C’est une entreprise qui a été réalisée par l’entremise de la France,
alors principal actionnaire de la Miferma (Société des Mines de Fer de
Mauritanie). La voie ferrée et la route entre Nouakchott et Akjoujt (gisement
de cuivre) ont été les premières réalisation, permettant surtout à la France de
s’assurer un approvisionnement en minerai à des tarifs préférentiels. En 1967,
la Mauritanie romps temporairement ses relations diplomatiques avec les USA et
signe parallèlement des accords de coopération économique, techniques et
culturels avec la Chine Populaire.
Trois ans plus tard, la route Rosso-Nouakchott est inaugurée. Les premiers
conflits inter-ethniques de 1966, et la dépendance persistance de la Mauritanie
à l’égard de l’étranger entraînèrent la montée d’une opposition de gauche au
sein du parti unique entre 1968 et 1973, obligeant le président Ould Daddah à
un nouveau changement de cap, avec notamment en 1972, la dénonciation des
accords de coopération avec la France et la création d’une monnaie nationale,
l’Ouguiya. La sortie de la zone franc marque un rapprochement avec les Etats
arabes, dont les financements donnent lieu à la mise en place d’un secteur
nationalisé. Le 4 décembre 1973, la Mauritanie devient membre à part entière de
la Ligue des Etats Arabes, et en 1974 la Miferma devient la SNIM. Dans le même
temps, la succession de mauvais hivernages depuis 1970 génère une série de
famines, le pays doit faire appel à l’aide alimentaire. C’est l’entrée en jeu
des différentes organisations internationales dans l’économie du pays. L’aide
alimentaire qui arrive du Sénégal est responsable des premiers mouvements de
population vers le Sud et notamment de l’établissement de nombreux ruraux à
Rosso, espérant profité de l’aide à la source. Il apparaît pour la première
fois une série de villages sans nom le long de la route Rosso-Nouakchott. Il
sont simplement désignés par leur position le long du goudron : PK4 (Point
Kilométrique n°4), PK10, PK15, PK25, etc. La route cristallise la pauvreté de
toute la région. Le climat politique va ensuite largement se détériorer au fil
des multiples retournements de situation de la guerre du Sahara, qui amène le
pays, à partir de 1975, à se ranger successivement du côté de l’Algérie ou de
celui du Maroc. L’effort de guerre épuise l’économie, et des tensions internes,
ravivées par l’intervention des différents états arabes engagés dans le
conflit, mènent le pays dans une période qui sera marquée, jusqu’en 1985, par
une succession de coups d’Etat et une aggravation de la dette publique. De
nombreux projets de développement ont du être sacrifiés ou retardés. En
parallèle, chaque allié potentiel du pays y va de sa proposition d’aide au
développement. La période de la guerre est ainsi riche en projet mais bien
pauvre en réalisations. Trois types de routes sont envisagées. On pense
d’abord, dans la perspective de création des périmètres d’irrigation,
développer un réseau régional autour de Kaédi, permettant ainsi de relier le
centre et l’Ouest du pays aux futures installations. Ce projet, initié par les
français en 1969 restera au stade d’étude. La perspective de créer un second
centre, éloigné de la capitale, et surtout la trop grande importance donnée au
Sud Négro-africain ont eu raison du projet.
Viennent ensuite les études réalisée
par les organismes internationaux, qui visaient d’abord la construction de
routes de désenclavement du Sahel pour lutter contre la pauvreté et faire
parvenir l’aide alimentaire. Il s’agissait, ici encore, de routes secondaires,
qui de plus ne comportaient pas de chaussées bitumées, rendant les coût de
réalisation des travaux et d’entretient plus légers. Ces axes secondaires
étaient destinés à se greffer sur l’axe principal du territoire, projeté de
longue date, la Route de l’espoir.
Route
Rosso-Nouakchott. Au fond, un campement maure.
Ce projet de grande envergure est né
dans l’esprit du président Ould Daddah. Il s’agit d’une grande route bitumée
qui traverse le pays d’Ouest en Est depuis la capitale, le tout en plein
désert. L’image est forte, et le nom du projet est emblématique. Car le projet
pouvait au départ paraître quelque peu absurde. Il n’aurait pas pu voir le jour
sans les retournement de situation des années 70. L’engagement du pays auprès
du Maroc aura au moins eu l’avantage de lui amener l’aide financière de la
ligue des Etats arabes et donc de certains membres de l’OPEP qui profitaient
alors des récents chocs pétroliers. Le premier tronçon était achevé en 1977,
mais l’inauguration n’est intervenue qu’en 1985. Cette route est le symbole de
la volonté d’affirmation du pouvoir central. Il représente, au milieu du sable,
le pouvoir de la capitale, et réalise en quelque sorte l’unité du pays. Au delà
du symbole, la pertinence économique de cette route a rapidement été remise en
cause. Dès 1986, les études concernant l’utilité du tronçon et les coûts de sa
maintenance face aux importants problèmes d’ensablement, montrent que le projet
était peut-être trop ambitieux. Pas de perspectives industrielles, peu de
villes, et un cul de sac vers le lointain Mali. Mais le choix du tracé avait
d’autres implications. Economiquement, il eu été logique de l’établir plus au
Sud pour qu’il desserve les villes du fleuve et les régions les plus peuplées.
On a privilégié les villes maures situées plus au Nord (Boutilimit, Kiffa,
Aïoun-el-Atrouss), sans pour autant quitter la zone habitées par les Noirs. Il
s’agit certes d’un compromis ( le Gorgol et le Guidimaka restent isolés ), mais
la encore on a ménagé les tensions ethniques, en signifiant la présence de
l’Etat au bord du fleuve.
Croissance
urbaine 1962-1988 et tracé de la route de l’Espoir
2.Les
politiques de la débrouille : l’informel
Les hommes n’ont pas attendu les grands
travaux prestigieux pour vivre. Se reposer sur la toute impuissance de l’Etat
eut été une erreur, les fonctionnaires impayés l’ont toujours su… La stratégie
face à la pauvreté a été le départ. Les grandes routes ont tout de suite été
utilisées par les populations, elles étaient le chemin le plus court vers la
ville et le lieu d’arrivée de l’aide alimentaire. Après un passage dans les
« PK », les paysans ont fini par se fixer dans les kebbés des villes
de la route. Si la majorité est allée à Nouakchott, un certain nombre de
mauritaniens sont venus constituer une nouvelle trame urbaine calquée sur la
route. Petit à petit la route de l’espoir ne passe plus au milieu de nulle
part. Finalement, ces villes nées du sous-développement, deviennent
productrices de développement, obligeant leurs habitants à ne plus compter sur
la seule agriculture traditionnelle pour vivre. Une série d’activités nouvelles
ont pris naissance dans les villes mauritaniennes, elles sont quasiment toutes
informelles. L’artisanat s’est développé, ainsi que toute une micro-industrie
de la récupération. Les objets nécessaires à la vie urbaines sont produits sur
place à moindre coût, le bâtiment fait vivre beaucoup de gens. Le secteur des
services joue un nouveau rôle économique, et les transports y tiennent une
place conséquente. Ils emploient des conducteurs, des mécaniciens, et
alimentent les multiples petits commerce. Il faut rappeler cependant que ces
formes d’activités qui ne sont pas contrôlées, bien que particulièrement
dynamiques et flexibles, ne favorisent ni la formation d’entreprise de taille
moyenne, ni le progrès social, du fait des piètres conditions de travail. Les
initiatives récentes de l’Etat en la matière, poussé par le FMI et aidé par
les nombreuses ONG, semblent plutôt positives, même si elles ne règlent
pas les problèmes.
La tendance actuelle, n’est plus aux
grands projets ruineux. Depuis 1985 l’Etat suit une politique de rigueur
budgétaire. La diversification est la nouvelle voie. Diversification des
sources de revenus d’abord. Les efforts dans le secteur de la pêche sont
poursuivis, et la aussi, les transports mettent en valeur une évolution, avec
la mise en place progressive de flottilles chargées de surveiller les eaux
mauritaniennes et les trafics ( revente en pleine mer des prises des piroguiers
aux navires-usines étrangers, avec paiement en Francs Français ). Le potentiel touristique du pays est
important, et la SNIM l’a bien compris. Son implantation dans le Nord du pays,
proche de l’Adrar et de ses sites historiques, et ses infrastructures lui
donnent une place de choix. Des charters sont organisés depuis 2 ans entre la
France et Atar, capitale administrative de l’Adrar. Le train, lui-même,
pourrait bien devenir un objet touristique, la mise en place de wagons destinés
aux voyageurs et l’article du Monde sont des signes de cette évolution.
A côté de cela, Air Mauritanie a franchit un pallier important en s’engageant
dans la location d’un airbus, détenu par un consortium d’hommes d’affaires du
pays. La sagesse des hommes du désert se voit aussi dans la diversité de ses
partenaires étrangers. Japon, Chine, France, Emirats Arabes Unis, Union
Européenne et Algérie financent des projets de développement. Ici un puits payé
par l’Allemagne, là une mosquée offerte par l’Arabie Saoudite, le tableau est
coquasse. Les Etats-Unis sont moins visibles, quoi que cachés derrière l’ONU.
On parvient quand même à trouver du Coca-Cola en plein désert, c’est
saisissant ! Les réalisations des ONG sont en général très modestes, mais
la mise en place de coopératives remporte un franc succès.
Les jardins de la
coopérative de Boghé
C’est une autre des voies choisies par
le pays. Autour d’une activité simple et utile, comme la production de boites
de conserves, la mise en place d’une pisciculture ou de petits jardins
familiaux, ont assure un bon complément de revenus à de nombreux foyers et on
profite du dynamisme des femmes du pays. Pour l’Etat, qui encourage ces
initiatives, c’est une façon de contrôler les conditions de travail et de
susciter des créations d’entreprises « formelles », ou qui sait,
d’espérer des rentrées fiscales… Depuis 1995, la TVA a été instaurée, le budget
de l’Etat a profité de cette embellie. Il se profile également la suppression
progressive de la dette du pays auprès des pays développés. Le pays pourra-t-il
enfin profiter pleinement des recettes de l’Etat ? En tout cas, les
projets de construction de routes sont nombreux, tant, il est vrai qu’il reste
beaucoup à faire. On pense mettre en place une série de tronçons qui
relieraient la route de l’espoir à la plupart des villes du pays, comme il en existe déjà vers Boghé.
Ceci pourra générer un trafic encore plus important sur la route de l’espoir et
désenclaver certaines régions. La route sera, il faut en faire le pari, le
vecteur des innovations sur le territoire. Preuve en est, le réseau
téléphonique national gagne peu à peu l’intérieur des terres le long des
routes. Mais dans le contexte de la mondialisation, la Mauritanie doit à tout
prix sortir de sa position d’isolat en se connectant mieux aux pays voisins. Le
Sénégal, plus robuste économiquement, pourrait devenir un partenaire important.
Le projet d’une route directe Nouakchott-Saint-Louis passant par le barrage de
Diama pourrait s’avérer à ce titre profitable. Reste que, pour les routes aient
un rôle moteur de développement, toutes les villes du bord de route devront
être capable de retenir la population qui part encore souvent vers Nouakchott.
Le projet de
route Dakar-Nouakchott
Les perspectives de développement de la
Mauritanie sont toujours conditionnées par la capacité du gouvernement à mettre
en place un régime politique stable, le rendant ainsi capable de conduire des
projets sur la longue durée. Si la situation politique de la région est pour un
temps détendue, les problèmes liés à la sécheresse peuvent toujours resurgir
périodiquement, et la question des sources de capitaux dans ce pays démuni,
classé 148éme pays sur 160 pour l’Indice de Développement Humain de 1992, reste
toujours d’actualité. Les initiatives et les volontés conjuguées des
populations, du gouvernement et des organismes internationaux font peu à peu
évoluer le pays vers le développement. Les acquis des premières années du pays
seront de toute façon un atout, mais la solution miracle restera un
mirage sur la route de l’espoir…
Ø
TEURNIER
Pierre, « Cars rapides à Dakar », Histoire de développement,
n°25, mars 1994
Ø
BELVAUDE
Catherine, « Nouakchott, de nulle part », Autrement, n°72
Ø
WOLKOWITSCH
Maurice, Géographie des transports, Paris, 1992, Armand Colin, 191 p.
Ø
CARAMEL
Laurence, « La Mauritanie devrait voir sa dette annulée pour
avoir une chance de se développer », Le Monde, 26/04/2000
Ø
BENNES
Marie-Florence, « Des mines de fer au cœur du désert », Le
Monde, 26/04/2000
Ø
BOUSTANI
Rafic, FARGUES Philippe, Atlas du Monde Arabe, Paris, 1990, Bordas,
p.134
Ø
VINCENT
M., « Voyage dans l’Adrar et retour au Sénégal », Le Tour du Monde,
1861
Ø
BELVAUDE
Catherine, La Mauritanie, Paris, 1988, Khartalla
Ø
DUREL
Grégory, L’intégration de Satara et de sa population à la ville de Rosso et
à la vie urbaine : indicateurs et processus, Université Paris IV
Sorbonne, 1996, 140 p.
Ø
BALAN
Jean-Louis, « Mauritanie », article de l’Encyclopédie
Universalis, version CD-Rom, 1997
Ø
SYLLA
Boubacar, Le développement, c’est quoi même ?, mai 1997, SYFIA sur http://www.syfia.com
Ø
http://www.mauritania.mr, Site officiel du
gouvernement.
Ø
http://www.un.mr/cid/catalogue/ ,
Centre de documentation des Nations Unies en Mauritanie, références concernant
les transports.